Pourquoi une rue des 5 frères Robinet ?
La Première Guerre mondiale n’épargne pas les familles fertoises. Sur le monument aux morts érigé en 1921 dans le cimetière, sont gravés les 219 noms des poilus « morts pour la France » soit 25% des 867 mobilisés fertois, chiffre proche de celui de l’Orne (24%). Pour ces 219 victimes, le pourcentage de morts par année est le suivant : pour 1914, 27% pour les 5 premiers mois de guerre et pour les années suivantes respectivement 28%, 23%, 7%, 14%. Il met en évidence l’hécatombe des tous premiers mois du conflit dont fait parti Maxime Robinet, tué au front dès le 3 octobre 1914.
Jean Baptiste Robinet (1850-1929), né à Niort-la-Fontaine (Mayenne) se marie en 1877 avec Victorine Moussay (1848-1900). Ils arrivent à La Ferté-Macé avant leur mariage. Le couple Robinet a cinq enfants tous des garçons qui feront leur scolarité à l’école Sainte-Marie. En 1900, première épreuve, Jean-Baptiste, âgé de 52 ans, perd son épouse. Après avoir exercé plusieurs métiers dont typographe, il est blanchisseur au tissage Salles en de 1906 et ce jusqu’à son décès. Il habite ainsi que plusieurs de ses fils en haut de la rue du Cruchet dans une maison ouvrière de l’entreprise qui l’emploie. Trois d’entre eux iront travailler à Paris. La Première Guerre mondiale ne l’épargne pas. Ces cinq fils partent au front, quatre entre le 3 et le 11 août 1914 et le cinquième « ajourné » pour son service militaire est « appelé à l’activité » le 1er décembre 1914. Le jour du départ, le plus jeune a 28 ans et le plus âgé 37 ans. L’Echo de La Ferté- Macé du 25 novembre 1916 dans la rubrique, « Nos Fertois au champ d’honneur » publie : « Ce brave père Robinet, vieux soldat de 70… sur 5 fils partis sur le front au début de la guerre, en a déjà vu successivement tomber quatre sur le champ de bataille ». A leur décès, trois sont père de famille. Le sort s’acharne sur ce pauvre homme dont le cinquième fils décèdera dans un déraillement de train en 1917 lors d’une permission pour noël. Ces cinq soldats sont « morts pour la France » selon cette dénomination légale. Trois d’entre eux, Maxime, Alphonse et Edouard sont mentionnés dans le livre d’or du ministère des pensions. En mai 1920, le conseil municipal évoque d’honorer globalement « le souvenir des héros fertois » et non point, l’un plus qu’un autre. Il est avancé des noms de rue : « rue du Souvenir », « rue de la Grande Guerre ». Au final, il est retenu « rue de la Victoire » en lieu et place de la Grande Rue. Quant à la rue du Cruchet qui part de la place Charles-de-Gaulle en direction d’Antoigny, il faudra attendre juin 1965 sous la mandature de Gaston Meillon pour qu’elle soit dénommée « rue des 5 frères Robinet » suite à la demande de l’Association des anciens combattants.
Résumé de la vie de chacun :
Maxime (1877-1914) l’ainé, après trois années de service militaire au 103e régiment d’infanterie, rentre dans la disponibilité en 1901 avec le grade de caporal. De retour dans sa ville natale, il est domicilié rue du Cruchet et exerce le métier de est tisserand. Il se marie en 1905 puis deviendra boulanger. Il a trois enfants dont l’un revendra de la confiserie place du général Leclerc (emplacement du Pêché Mignon), quatre petits enfants et sept arrières petits enfants. Après deux périodes d’exercices, en 1904 et 1908, au 104e régiment d’infanterie, il est rappelé à l’activité le 3 août 1914 au 32erégiment d’infanterie puis passe au 130e. Il est tué à l’ennemi, après tout juste deux mois de guerre sur le champ de bataille à Courcelles-le-Comte (Pas-de-Calais). A titre posthume, il reçoit la croix de guerre avec étoile de bronze avec la citation : « Caporal courageux et dévoué, tué à son poste de combat… en accomplissant son devoir ». Il laisse son épouse avec deux enfants qui seront Pupilles de la Nation.
Louis (1882-1915) né à la Courberie en Mayenne est le seul fils Robinet à ne pas être né à La Ferté-Macé. En 1901, il travaille au tissage Salles. Après trois années de service militaire au 5e régiment d’infanterie, il rentre dans la disponibilité en 1906 avec le grade de caporal. Sur l’avant bras d’une de ses vareuses sont cousus un cor de chasse et une grenade rappelant qu’il est reconnu tireur d’élite. Il part travailler à Maisons Laffitte (Seine-et-Oise). Il se marie en 1909, trouve un emploi de valet de chambre et avec son épouse de cuisinière au Vésinet avant d’aller à Paris. Il aura un fils unique Louis qui sera agriculteur, six petits enfants et quinze arrières petits enfants. Après deux périodes d’exercices, il est rappelé à l’activité le 11 août 1914 et combat dans plusieurs régiments d’infanterie. Il est tué à l’ennemi le 25 novembre 1915 à Souain (Marne) à la côte 193, au lieu-dit, Camp de la Baraque. Sa mort est causée par des blessures provoquées par des éclats de bombe. Il laisse son épouse avec un jeune garçon de 5 ans. Il est inhumé dans la nécropole nationale de la Crouée à Souain-Perthes-lès-Hurlus (30 734 tombes), sépulture N° 3 762.
Victor (1879-1916). Un de ses frères faisant son service militaire, il en est tout d’abord dispensé, puis ajourné pour « faiblesse ». Il est appelé à l’activité en novembre 1901 et rentre dans la disponibilité en septembre 1902. Il travaille comme tisserand au tissage Salles. En 1906 et 1909, il est appelé pour deux périodes d’exercices au 104e régiment d’infanterie. Il se marie en 1910 puis part travailler à Paris. Il n’a pas d’enfant. Le 5 août 1914, il est rappelé à l’activité au 32erégiment d’infanterie puis passe au 341e. Il est tué à l’ennemi sur le champ de bataille à Cumières-le-Mort-Homme (Meuse) le 20 juin 1916. Il reçoit la médaille militaire à titre posthume.
Alphonse (1880-1916) travaille, en 1901, au tissage Pilatrie où il est tisserand ainsi que sa future épouse. Concernant son service militaire, il est ajourné pour « faiblesse ». Il se marie en 1904. Il a deux filles dont l’une décède à l’âge de 18 mois, un petit fils et trois arrières petits enfants. Les besoins en combattant font que le 11 novembre 1914, il est classé : service armé par la commission spéciale de réforme d’Argentan. Quelques jours plus tard, le 1er décembre 1914, il est rappelé à l’activité. Il combat au sein de sa compagnie à l’offensive engagée contre les Allemands en février 1916 pour s’emparer de Verdun. Le 3 novembre 1916, blessé par des éclats d’obus, il décède le lendemain de ses blessures de guerre à l’hôpital N°1 PBC à Verdun (Meuse) moins de cinq mois après son frère Victor. Il est inhumé dans la nécropole nationale de Bévaux (tombe individuelle 395) située sur la commune de Verdun. Elle regroupe 3 592 soldats dont 3 107 sont toambés en 1914-1918. Il laisse son épouse avec une petite fille de 10 ans.
Edouard (1886-1917), le benjamin travaille, en 1901, lui aussi au tissage Salles. En octobre 1907, il part pour son service militaire au 103e régiment d’infanterie où il est sapeur télégraphiste. Il passe dans la disponibilité en septembre 1909 avec un certificat de bonne conduite. Cette année là, il est domicilié à Paris où il a sans doute trouvé un emploi. Toujours célibataire, il est rappelé à l’activité le 5 août 1914, au 104e régiment d’infanterie. Il passe en mars 1916 au 8erégiment du génie comme télégraphiste. Son père Jean-Baptiste Robinet va vivre un nouveau drame et si l’on peut dire, le plus injuste ou le plus inutile. Après la défaite de Caporetto en Italie du Nord en octobre 1917, des troupes françaises sont envoyées en renfort sur le front italien. Des permissions sont données pour les fêtes de Noël. Les permissionnaires prennent d’abord le train à Bassano et arrivent le lendemain soir 12 décembre 1917 à Modane. Un nouveau convoi pris en charge par la compagnie française PLM est formé dans cette ville. Dans la descente de la vallée de la Maurienne entre Modane et l’entrée de Saint-Michel-de-Maurienne, le train prend de la vitesse, le mécanicien ne peut le freiner, il atteint près de 120 km/heure au lieu de 25 km/heure maximum, des wagons de tête déraillent, un violent incendie se déclare. Le bilan de cette catastrophe ferroviaire est de 435 morts dont 425 soldats dont un seul ornais, Edouard Robinet. Seulement 148 corps sont identifiés. Ils seront ensevelis dans deux fosses communes puis transférés en 1962 dans la nécropole nationale de La Doua (6 346 tombes) à Villeurbanne (Rhône). Dans cette nuit du 12 au 13 décembre 1917, Edouard le dernier fils Robinet disparait dans cet accident, classé « secret militaire ».
Ces cinq drames que vit à répétition le Fertois, Jean-Baptiste Robinet », méritent plus qu’une modeste plaque de rue. Ils sont à noter dans les annales de la Grande Guerre pour la totalité d’une fratrie « mort pour la France ».
Michel Louvel